Jean Deboutte, Directeur Strategy, Risk Management & Investor Relations à l’Agence de la dette
« Notre défi ? Atteindre la valeur de référence du Traité de Maastricht : avoir un niveau de dette ne dépassant pas les 60 % du PIB. »
Monsieur Deboutte, comment se porte la dette de la Belgique fin 2014 selon vous ? Et qu’en est-il en comparaison avec d'autres pays ?
Jean Deboutte : Au 31 décembre 2014, la dette représente 106,6 % du PIB. Ce pourcentage est bien sûr très élevé, mais il faut nuancer. Laissez-moi vous expliquer...
Nous avons hérité d'un lourd fardeau dans les années 80 qu'il a fallu résorber. Le choc pétrolier, la fermeture parallèle d'un très grand nombre d'usines, les décisions gouvernementales de cette époque et les dépenses pharaoniques qui en ont résulté nous ont plongés dans une profonde instabilité. Ceci jusqu'en 1993 où nous avons atteint le triste record du pays le plus endetté au monde. Depuis, et bien heureusement, nous avons remonté la pente jusqu'à atteindre une diminution de 50 % en terme du PIB, ce qui constitue un autre record pour la Belgique : celui de la plus impressionnante résorption. Avec la crise de 2008 et le refinancement des banques, la dette s'est vue à nouveau augmentée, d'où la dette de 106,6 % du PIB d'aujourd'hui.
La situation actuelle est difficile suite à la perte de croissance et au manque d'inflation que nous connaissons. Nous sommes actuellement le sixième pays le plus endetté de la zone euro. Cependant, nous avons plus de participations dans des entreprises qu’avant 2008. Cela signifie que, même si nous sommes plus endettés, nous sommes aussi plus riches. Monétiser nos actifs va nous aider à diminuer notre dette.
Notre défi ? Atteindre la valeur de référence du Traité de Maastricht : avoir un niveau de dette ne dépassant pas les 60 % du PIB. Nous avons une vingtaine d'années pour y arriver mais le travail commence dès maintenant.
Depuis combien de temps l'Agence de la dette existe-t-elle ? Quel est son rôle ?
J.D. : Notre rôle premier consiste à financer l’État belge au meilleur coût, tout en limitant les risques. Il s’agit surtout de défendre le crédit de la Belgique et de « vendre » notre pays aux investisseurs, en maintenant l'équilibre entre les dépenses et les besoins de façon journalière. Nous sommes alors actifs sur les marchés tous les jours avec des opérations à court terme, mais aussi, moins souvent, à long terme.
L'Agence de la dette a été créée en 1998 sous l'Administration générale de la Trésorerie, juste avant l'euro. Elle comprend actuellement 37 travailleurs : fonctionnaires et contractuels venant principalement du secteur privé, dont la plupart bénéficie d'une longue expérience de 15 à 20 ans, voire plus. Nous sommes tous plus ou moins repartis en trois divisions. Chaque division joue un rôle spécifique :
Dans la division 1 (D1 ou « front office »), nous exécutons les décisions prises par le Comité stratégique au niveau du plan de financement. Nous y suivons l’état des marchés et y gérons les contacts avec les « Primary dealers »1 du Trésor qui sont régulièrement évalués en termes de prestations.
Dans la division 2 (D2 ou « middle office »), nous préparons les propositions de directives générales et des plans de financement – dans lequel les OLO2 jouent un rôle important – qui sont discutés au « Comité stratégique de la dette »3 . Ce plan de financement est ouvert à tous et présente la situation de la Belgique sur les marchés (déficit, émissions, etc.) afin que les investisseurs sachent où et dans quelle situation ils investissent. Une totale transparence est obligatoire. Cette division gère en outre les risques, développe les produits et prend en charge les relations avec les investisseurs et la communication.
Dans la division 3 (D3 ou « back office »), nous vérifions et validons toutes les opérations (chaque opération doit être vérifiée par au moins deux personnes différentes). La D3 comprend tout le back office, dont sept informaticiens qui se chargent de tester mensuellement l'ensemble des systèmes IT qui tournent tous les jours à plein régime. Malgré tout le contrôle interne, un autre back up est encore prévu en cas de chute du système informatique : il existe un site de secours à la Banque Nationale et nous pouvons nous y rendre pour reprendre quasi immédiatement les tâches urgentes si besoin.
Que pensez-vous du plan de stabilité de la Belgique ?
J.D. : La Belgique est un pays solvable. C'est un fait actuel reconnu. Mais notre taux d'endettement supérieur à 100 % du PIB nous place dans une position défensive face aux investisseurs étrangers. Nous devons toujours convaincre, expliquer, justifier... Pourtant, comme je le disais, la Belgique est dans un siège confortable. Pourquoi ? Parce que nous réussissons à prolonger la durée de nos dettes. Nous venons de passer d'une durée de 6 ans à une durée de 7,75 ans. C'est un bon point pour nous car nous limitons les remboursements et renforçons de cette manière la soutenabilité de notre dette. Notre dette a donc augmenté mais elle est aussi devenue plus stable. C'est le moment d'emprunter à long terme et nous ne nous en privons pas. Dans la zone euro, la Belgique occupe actuellement la deuxième place des pays qui ont les dettes à plus long terme. Notre statut à l'étranger est très sérieux. L’idéal serait d’encore pouvoir allonger nos dettes à 8 ans…